mercredi 19 septembre 2007

Buterfly effect

Poincaré
Un exemple exposé par Poincaré pour illustrer la notion de chaos.
Henri Poincaré travailla plus tard sur des phénomènes chaotiques, mais ses travaux n’eurent pas de point d’application immédiat, faute de calculateurs électroniques avec lesquels effectuer plusieurs millions ou milliards d’itérations.
C'est le premier qui donna une définition claire au terme « chaos », en utilisant l'exemple célèbre des sphères : si on place une sphère réfléchissante et que l'on envoie dessus un faisceau lumineux, la direction que prend le faisceau réfléchi dépend grandement de la position d'origine.
Avec deux sphères, la variation d'un dixième de degré dans l'angle de la source peut amener à une divergence de 180° entre les deux faisceaux.

Von Neumann contre Wiener
Les deux mathématiciens, tous deux au fait de la sensibilité extrême sur le long terme de petites variations initiales, en tiraient des conclusions opposées. Pour l’un, toute prédiction à moyen terme était de ce fait inexorablement vouée à l’échec. Pour l’autre, au contraire, tout n’était que question de moyens de calculs, et lorsqu’on en aurait de suffisamment puissants, alors il serait possible de savoir exactement sur quelle petite cause agir pour éviter le grand effet (ou, en terminologie moderne, quel papillon écraser au Brésil pour que la tornade n’ait pas lieu au Texas... la question étant de savoir si ce geste même de l’écrasement ne déclencherait pas lui-même une autre tornade ailleurs - un équilibre hypercritique restant de toute façon hypercritique !)

Lorenz [
Article détaillé : Système dynamique de Lorenz.
Edward Lorenz, lui, travaillait sur des problèmes similaires : des
prévisions météorologiques grâce à des systèmes informatiques. D’après les lois déterministes - également dites prévisionnistes - créées par Galilée et développées par Isaac Newton selon lequel les conditions initiales permettraient de déterminer l’état futur d’un système grâce à la mise en place d’une nouvelle technique mathématique, le calcul différentiel alors en vigueur, toute action X aurait des conséquences Y prévisibles grâce à des formules mathématiques, pourvu que les fonctions en cause fussent continûment dérivables (il n’était pas question par exemple de prévoir le mouvement d’un chat par ce moyen). Lorenz a incorporé, en 1963, le fait que des variations infimes entre deux situations initiales pouvaient conduire à des situations finales sans rapport entre elles.
Il affirma ainsi qu’il n’était pas envisageable de prévoir correctement des modifications climatiques à très long terme (par exemple un an), parce qu’une incertitude de 1 sur 106 lors de la saisie des données de la situation initiale pouvait conduire à une prévision totalement erronée. Or :
ces incertitudes sont inévitables d’une part,
l’homme ne peut pas prendre en compte tous les éléments qui constituent son environnement, surtout lorsqu’il s’agit de variations infimes, d’autre part.

Comment « voir » l’effet papillon

Mandelbrot

Newton
Une bonne manière de « voir » l’effet papillon est de considérer une
fractale. En effet, une fractale n’est rien d’autre que la représentation graphique du comportement d’un sytème chaotique. En général, une fractale représente la vitesse de convergence d’une suite mathématiques en fonction d’un certain paramètre. On visualise clairement le fait qu’une infime variation de ce paramètre modifie radicalement le comportement de la suite, ce qui produit donc des images infiniment irrégulière (ie on peut zoomer dessus autant qu’on veut, on observera toujours de nouvelles formes et des lignes non-lisses). La première fractale représentée ici montre la vitesse d'évolution d’une suite en fonction de sa valeur initiale. La deuxième montre l’instabilité d’une méthode numérique de recherche de solutions d’équations. En effet, elle permet de visualiser vers quelle solution d'une équation converge une suite selon son point de départ.
Dans le domaine de la prévision météo, la modélisation du climat correspond à un système dynamique de nature chaotique. La connaissance des conditions initiales, ainsi que leur représentation dans les simulations qu'utilisent les prévisionnistes, (modèles numériques), est forcément incomplète, d'où la « Limite du Chaos » qu'implique l'article de Lorenz. Elle se traduit en pratique par une « limite de prévisibilité », qui est d'un peu plus de 10 jours (on dit que l'atmosphère « oublie tout en 2 semaines »). Au cours des 2 dernières décennies, les progrès conjoints des observations, (par satellite ou in Situ), et de la capacité de calcul ont permis de se rapprocher de cette limite, selon un rythme de « 1 jour de plus tous les 5 ans ».
On a supposé, à cause de son aspect chaotique qu'une modification infime des conditions initiales par exemple le battement de l'aile d'un papillon pouvait modifier radicalement l'avenir climatique voire créer un ouragan. Si le modèle chaotique s'applique bien et que la limite de prévisibilité existe vraiment, en revanche, les modèles numériques montrent qu'il n'est pas scientifique de prétendre qu'une petite modification peut créer un ouragan, car l'énergie dégagée par le papillon sera dissipée avant d'avoir pu produire un effet de grande amplitude.
La même limitation, résultant de la connaissance incomplète des conditions initiales, vaut aussi pour la prévision océanique, avec une limite qui est de quelques semaines, au lieu de quelques jours. (Voir par exemple
Les modeles numeriques)

Aspects philosophiques
Le concept
Dans l’exemple de Lorenz, un météorologue ne penserait pas forcément à prendre en compte les variations du courant d’air provoquées par le battement d’aile d’un papillon. Son idée de « non infaillibilité du système prévisionnel », théorisé sous la forme de « l’effet papillon », rappelle qu’il existe au moins une différence entre le déterminé et le déterminable.
Ainsi, un battement d’aile d’un papillon non pris en compte est peut-être celui qui entraînera de proche en proche une variation,
exponentiellement multipliée par le temps écoulé, de conditions atmosphériques, un souffle d’air qui sera ressenti par un moineau. Ce moineau déviera sa trajectoire et remarquera alors un insecte qu’il s’empressera de dévorer. À long terme, ce sont toutes les générations descendant de cet insecte qui sont condamnées, ainsi que les animaux qui s’en nourrissent, etc. Cependant, il faut se méfier de l'intuition : des travaux récents ont montré que justement, l'effet papillon n'était pas applicable à la modélisation de l'atmosphère : un effet minime est "noyé" et oublié sans incidence pour la totalité.
Rien de très nouveau, en fait, par rapport au phénomène bien connu du phénomène perturbateur minime qui peut déclencher une avalanche, lui-même bien connu en montagne depuis quelques siècles.

Où l’on redécouvre et dépasse Poincaré
Cette théorie a en fait été à l’origine de la redécouverte de la «
théorie du chaos », telle que déjà formulée par , d’abord par James Clerk Maxwell (1831-1879), puis par Henri Poincaré (1854-1912). Déjà, ces deux chercheurs avaient émis l’hypothèse que les théories prévisionnistes avaient leurs limites, car elles ne prenaient pas en compte les variations initiales. Ces théories étaient vite tombées dans l’oubli car elles supposaient une instabilité initiale, peu compatible avec les phénomènes déterministes que les mathématiciens voulaient étudier à cette époque.
Avec Lorenz, les limites pratiques du modèle de Newton sont mieux perçues, et un nouveau concept de « déterminisme relatif » émerge. Le terme de «
théorie du chaos » réapparaît et c’est au début des années 1970 que le monde connaît un engouement pour ce paradigme. On découvre alors deux résultats étonnants :
Le chaos possède une sorte de signature (voir
Nombres de Feigenbaum).
Il peut conduire lui-même à des phénomènes stables. On parle alors d’émergence. On ne pourra en connaître le détail de réalisation, mais les états finaux peuvent être connus sans qu’on sache par quel chemin on y arrivera : c’est une généralisation de la notion d’
attracteur déjà posée par Poincaré.
L'Institut de Santa Fe sera créé en 1984 pour tenter d’étudier les conditions par lesquelles c’est, parfois, en revanche, l’ordre qui émerge du chaos - ce qui constitue très exactement le contraire d’un effet papillon.

Nouveau paradigme, ou simplement formulation plus parlante ?
Aujourd’hui encore, l’Effet Papillon sert de métaphore dans la vie quotidienne. Les futurologues considèrent peu à peu que les transformations sociales seront de plus en plus liées à quelques actions individuelles plutôt qu’à des phénomènes de masse. Ceci parce que deux conditions essentielles à l’émergence de l’effet papillon sont à présent réunies :
D’une part, la circulation de l’information est devenue plus rapide et plus dense entre les différents acteurs de la société et les diverses parties du monde. Des événements auparavant isolés, peuvent maintenant être reliés très rapidement. Cela favorise la transmission et l’amplification des changements.
D’autre part, puisque nous redéfinissons plus vite nos normes et des valeurs en matière de travail, d’économie, mais aussi de vie sociale et de rapports entre États, une infime modification peut transformer en profondeur la carte des échanges.
Ces éléments ne mettent pas pour autant le pouvoir de changer le monde à portée de chacun, mais font s’éloigner la vision d’un
sens de l'histoire qui curieusement avait d’ailleurs déjà été récusé par des écrivains comme Karl Marx (mais pas par tous les marxistes) ou Jean-Paul Sartre. L’effet papillon ne fait pas partie des choses sur lesquelles on puisse compter systématiquement (en fait, l’immense majorité des papillons ne provoque pas de tornade où que ce soit ! ), mais la possibilité existe toujours de l’inattendu au milieu des phénomènes les plus ordonnés .

Réflexion sur l’imprévisibilité
À titre indicatif, voici ce que
Paul Valéry écrivait le 13 juillet 1932 dans son Discours de l’histoire :
« J’étais en Rhétorique en 1887 (...). Eh bien je me demande à présent ce que l’on pouvait prévoir en 1887 - il y a quarante-cinq ans - de ce qui est survenu depuis lors. (...) En ce même 87, l’air était rigoureusement réservé aux véritables oiseaux. L’
électricité n’avait pas encore perdu le fil. (...) Newton et Galilée régnaient en paix. La physique était heureuse et ses repères absolus. Le temps coulait des jours paisibles : toutes les heures étaient égales devant l’Univers (...)
Tout ceci n’est plus que songe et fumée. Tout s’est transformé comme la carte de l’Europe. (...) On ne conçoit même pas quelles opérations de l’esprit, traitant toute la matière historique accumulée en 87, auraient pu déduire de la connaissance, même la plus savante, du passé une idée, même grossièrement approximative, de ce qu’est 1932 »
Le poète et le philosophe pressentaient déjà, par une simple réflexion sur l’histoire, ce qu’allaient confirmer trente ans plus tard des considérations physiques.

Un précédent littéraire
Dans la nouvelle
A sound of thunder, parue en 1948, Ray Bradbury met en scène un groupe voyageant dans le temps, et ayant des consignes strictes de ne rien changer. Ainsi ils vont à la chasse au dinosaure mais ce dinosaure avait pour destin de mourir quelques instants plus tard. Au retour, un participant qui avait légèrement enfreint la consigne réalise qu’il a écrasé accidentellement un papillon - et c’est pourquoi leur monde présent dans lequel ils reviennent se trouve completement changé.

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